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- La 231 G
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La locomotive à vapeur Pacific Chapelon avec Bertin et Madelaine au départ pour le trajet Paris-Calais.
Au milieu de la matinée d’un jour de mai 1936, l’équipe Bertin et Madeleine arrive au dépôt de La Chapelle, leur locomotive, la Chapelon 3.1191, les attend, sous pression et prête au départ.
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Ils en sont titulaires, c’est-à-dire que c’est leur locomotive, ils n’en conduisent pas d’autre, pas plus qu’ils ne supporteraient que d’autres mains y touchent, hormis celles des agents du dépôt chargés de la préparation de la machine.
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Il a fallu huit heures de travail pour vider le cendrier, curer le foyer, faire tous les niveaux, eau, huiles, liquide spécial anticalcaire dit TIA, sable, etc..., approvisionner le tender en charbon, inspecter le mécanisme et les organes de roulement, faire les travaux demandés par le mécanicien et portés sur le livret de la locomotive, et pour surveiller la montée en pression de la chaudière de la locomotive.
La locomotive de Bertin et Madeleine.
- Bertin, le mécanicien et Madeleine le chauffeur, ont pris la locomotive en main après une autre longue et minutieuse inspection, et l’ont sortie du dépôt pour l’amener en tête du train, en marche arrière, circulant lentement sur les nombreuses aiguilles des voies séparant le dépôt de La Chapelle et de la gare du Nord.
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Bertin et Madeleine forment une équipe depuis dix ans, et ils vivent l’un avec l’autre les heures les plus intenses de leur vie.
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Le soir, à Calais, dans le dortoir du foyer, ils occupent deux lits voisins dans la même chambre et partagent, sur la table, leurs gamelles mises en commun.
Midi, le sifflet retentit sur le quai, en route compagnon, ce sont là les derniers mots échangés.
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Le reste du trajet se fera dans le mutisme le plus complet, chacun à sa tache, et échangeant avec l’autre des regards immédiatement compris, les deux hommes sont en symbiose complète avec leur machine, ils se connaissent parfaitement et peuvent prévoir leurs réactions mutuelles.
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Surtout, ils connaissent la ligne par coeur, Bertin desserre les freins, et ouvre en grand le régulateur après avoir tourné le volant de commande de la distribution.
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Assis à gauche de la cabine, il se penche pour guetter les signaux qui apparaissent au loin, dans la longue tranchée surmontée par les ponts du boulevard de La Chapelle, des rues Doudeauville et Ordener.
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Ces ponts se succèdent et créent des zones d’ombre par-dessus les passerelles des signaux, le problème est qu’il faut lancer le train, et gagner toute la vitesse nécessaire pour grimper la rampe de la côte de Surviiliers.
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Si le départ n’est pas assez énergique, le train, faute de vitesse acquise, se traîne lamentablement durant les 30 premiers kilomètres du parcours, parvient en haut de la côte de Survilliers à bout de souffle, et à une vitesse tellement basse que de longues minutes sont perdues et impossibles à regagner.
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Alors, c’est au chauffeur de jouer le tout pour le tout, et Madeleine, courbé en avant, balançant son corps sur la pointe des pieds selon un rythme précis, charge de lourdes pelletées par le gueulard grand ouvert du foyer dès la sortie de la gare du Nord.
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La vitesse grimpe lentement:40 km/h en sortant de Paris, mais grâce à la pente, la gare de Saint-Denis est franchie à presque 100 km/h, le sifflet actionné pour écarter les banlieusards toujours debout au bord du quai et fascinés par ce superbe train.
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Juste après Saint-Denis, la voie est en courbe et le train s’incline sur sa droite pour s’engager sur la ligne de Creil.
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Les gares de banlieue défilent et Bertin surveille les signaux et espère ne pas se faire tôler, terme désignant, dans le métier, l’arrêt ou le ralentissement imposé par un signal " une » tôle ".
La rampe de Survilliers se montre dure, comme tous les jours, le Flaman, qui indique la vitesse, commence à descendre, l’aiguille noire indique 95 km/h, puis 94, puis 93, Bertin jette un regard interrogateur à Madeleine qui répond, de la même manière, qu’il ne faut pas s’inquiéter.
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Bertin regarde rapidement le manomètre de pression de vapeur, puis le tube, c’est-à-dire le niveau d’eau de la chaudière.
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Tout semble normal, sauf la vitesse, Bertin consulte la feuille de route, 400 tonnes.
En pleine vitesse, une Chapelon Nord, un des derniers services prestigieux de cette locomotive la Flèche d’Or.
- Le train du jour a un poids habituel, à Goussainville, la vitesse a remonté et le train roule à 112 km/h en traversant la gare de Louvres, et dans la courbe surgit le Pont des soupirs sous lequel le train passe à 114 km/h.
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Le Pont des soupirs, c’est le surnom donné à un grand pont qui enjambe les quatre voies, parce que c’est là que se termine la rampe et que les chauffeurs peuvent enfin soupirer d’aise, leur tâche se termine provisoirement, le train se laissant rouler jusqu’à Chantilly et se laissant descendre jusqu’à Creil.
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Madeleine se redresse, les mains sur les reins, puis il va chercher une bouteille d’eau teintée de café et boit longuement pendant que la locomotive roule plus de 120 km/h.
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Bertin guette les signaux de la gare de Chantilly, les carrés sont ouverts.
Creil, un léger coup de frein pour respecter la vitesse limite de la traversée de la gare suivie de sa bifurcation en pointe, la voie de gauche est donnée, la locomotive laissant sur la droite la voie de Bruxelles.
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Madeleine est de nouveau inquiet, car maintenant, 37 km de rampe continue à 3 pour mille l’attendent, une rampe que l’honneur et la certitude de réussir imposent de monter à au moins 115 km/h.
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A Gannes, au sommet de la rampe, Bertin sort son régulateur de sa poche, il s’agit de la montre des cheminots, il fait un clin d’oeil complice et admirati à Madeleine,19 minutes pour monter la rampe, soit 119 km/h de moyenne.
Creil, la traversée de la gare.
- Du PK 108 point kilométrique 108 au PK 121, la vitesse moyenne est de 128 km/h avec une pointe à 132 km/h.
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Longueau, la grande gare de bifurcation où se séparent les lignes de Lille et de Calais, se profile à l’horizon dès Boves, et l’on voit, au loin, émergeant de la brume, les immenses postes d’aiguillage, qui comme des tours, dominent des kilomètres et des kilomètres de voies qui se superposent et passent les unes par-dessus les autres à perte de vue.
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Un univers de murs de soutènement, de murs à arcades, de ponts, de talus, d’appareils de voie, la machine oscille sur les aiguilles et les murs de soutènement renvoient en écho les bruits du roulement, les coups d’échappement, les jets de vapeur.
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La gare d’Amiens, coincée dans la vieille ville, est franchie sans arrêt, tous signaux ouverts, les aiguilleurs dans leurs cabines renversent les leviers de commande après le passage du train, et les hauts sémaphores Lartigue, leur sommet perdu dans la brume, positionnent mécaniquement leurs ailes et font entendre des grincements et des claquements métalliques.
La ligne est plus facile maintenant, la côte est gagnée par Abbeville à travers des collines et un tracé assez sinueux, mais qui ne comporte pas de rampes difficiles.
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Bertin ne quitte pas son poste et Madeleine, chiffon an main, essuie les manomètres et surveille le niveau d’eau.
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Il actionne l’injecteur dont le bruit sourd traduit le passage très violent de l’eau chassée dans la chaudière parla force de la vapeur.
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Après Abbeville, au PK 175, la ligne cesse de suivre la Somme et mérite véritablement son nom de ligne de la Côte, longeant la mer à une dizaine de kilomètres.
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A Etaples, à 227 km de Paris, la voie est en courbe et le dévers très fort incline le train vers la gare qui surgit subitement sur la gauche, après la jonction de la ligne d’Arras sur laquelle attend un train omnibus.
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Bertin scrute l’horizon sous la forte lumière grise et distingue avec peine, la position des sémaphores Lartigue.
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Madeleine s’occupe du foyer et brise à coups de crochet, le mâchefer qui a tendance à se former et qui risque de donner une croûte épaisse étouffant le feu, puis il charge le feu, en répartissant avec habileté le charbon.
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Il faut faire du gaz, c’est-à-dire produire un maximum de cet air chaud qui, en traversant les tubes de la chaudière, vaporise l’eau, en effet, de la vapeur il en faudra pour monter la dure rampe de 8 pour mille qui attend Bartin et Madeleine dès la sortie de la gare d’Etaples c’est la redoutable rampe de Caffiers, bien connue sur le réseau du Nord.
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Abordée à plus de 120 km/h en gare d’Etaples, la rampe est terminée à 110 km/h, puis la longue descente sur Boulogne est avalée à 125 - 130 km/h, à nouveau Madeleine peut souffler, vivant avec son corps entier le profil de la ligne.
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Bartin se penche au dehors de la locomotive dans les courbes et regarde le long train bleu et crème qui suit docilement la locomotive.
Boulogne est atteinte, la ville a un réseau ferroviaire complexe, sur la bifurcation avec la ligne de Boulogne-Maritime, le train prend sur la droite an direction de Boulogne-Ville, gare franchie en vitesse et suivie de Boulogne-Tintelleries, gare coincée entre ses deux tunnels et ses murs de soutènement.
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Bertin actionne longuement le sifflet dans le tunnel qui précède la gare, le tunnel d’Hautevïlle, puis, une fois le nuage de fumée dispersé à la sortie du tunnel, il aperçoit de justesse le sémaphore Lartigue qui lui donne la voie libre avant de s’engouffrer le sifflet toujours hurlant, dans le tunnel d’Odre qui ouvre sa gueule béante et noire, le laissant foncer dans la nuit la plus complète.
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Sur la plate-forme de conduite, seule une petite lampe donne alors une lumière jaune et très faible, on se voit à peine dans le noir et la fumée.
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Puis la ligne s’éloigne de la mer pour éviter les hautes falaises du cap Gris-Nez, voici, enfin Calais, et ses immenses faisceaux de voies, ses gares Calais-Rivière-Neuve et Calais-Triage.
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La gara de Calais-Ville est franchie en douceur et dans les salons de la Fléche d’Or, les voyageurs, déjà se préparent.
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Après une dernière courbe franchie à très basse vitesse, c’est Calais-Maritime, le terminus, le train s’immobilise sur le quai même du port, le long de la coque du navire.
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Elégants, cramponnant leurs bagages de cuir fin, les voyageurs se dirigent vers le navire, ignorant le train et sa locomotive, Bertin, la figure noire, lève ses lunettes sur son front, tire son régulateur de su poche et après avoir regardé la position des aiguilles, tend la montre à Madeleine, on a fait l’heure, compagnon, Madeleine approuva en silence.
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Ca sont les seuls mots échangés entre las deux hommes qui, déjà, s’affairent autour de la locomotive, chiffon en main, ils n’ont aucun regard pour la mer.
Images du trajet Paris-Calais avec Bertin et Madeleine
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A la conquête de la vitesse, les locomotives- La 231 G |
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